Totalement sec, très mal en point, grillage de protection détruit, ensablement du creux d’arrosage, des animaux grignotant le peu qui reste des troncs. Telle est l’image qui décrit la situation des arbres plantés au niveau de l’intersection du rond-point Arène de lutte de la ville de Niamey. De l’autre côté du rond-point, en passant devant l’hôpital poudrière, force est de constater que certains riverains utilisent les enclos de ces arbres comme des urinoirs, quelques fois comme des dépotoirs, ou réceptacles d’eaux usées ou même de lieux de décharges fécales.
Ce constat est le même un peu partout dans la ville de Niamey, dans les espaces publiques. Et pourtant, dans le cadre du Programme Niamey Nyala, la commune de la ville de Niamey a lancé le 3 août 2019 l’opération « Niamey, la ville fruitière ». Ce programme prévoit la plantation de 100.000 arbres fruitiers dans la capitale chaque année. Les sites ayant abrité les plants d’arbres sont toujours visibles le long de la voie de l’Aéroport International Diori Hamani de Niamey.

Pour la plupart, ces arbres sont dans un état critique en raison du manque d’entretien et de suivi malgré les efforts de la ville à voir ces arbres grandir et être utiles.
Au Niger, la plupart des programmes et projets dans la lutte contre la désertification, parle peu de protection et de suivi des arbres pour leur plein développement. Une situation qui fait de plus en plus réagir les acteurs de la société civile. « Pardon, si vous savez que vous ne pouvez pas prendre soin des arbres que vous plantez. Abstenez-vous de les planter », affirmait l’activiste Bana Ibrahim.
Malgré l’esprit d’écocitoyenneté que la plantation d’arbre suscite aux Nigériens, rares sont ces personnes qui, après avoir planté un arbre dans un espace public, reviennent le visité, l’entretenir ou même suivre sa croissance. Cela crée une grosse perte pour le Niger du point en termes de ressources investis chaque année par l’État et tous les acteurs engagés pour la protection et la sauvegarde de l’environnement dans le pays, notamment les ONGs nationales et internationales.
Le business de la plantation des arbres
Chaque 3 août, au Niger, des centaines de milliers d’arbres sont plantés dans toutes les régions du pays à l’occasion de la fête de l’indépendance, combinée à la célébration de la fête de l’arbre. Tout le monde s’y met, notamment la présidence de la République et tout le gouvernement. Devant les objectifs des caméras des chaînes de télévision, les officiels mettent les mains dans la terre pour contribuer au reboisement de la ville de Niamey.
La Fête nationale de l’arbre vise à sensibiliser et mobiliser le grand public en faveur de la préservation des ressources forestières, du reboisement et de la restauration des écosystèmes dans toutes les régions, dans tous les départements et dans toutes les communes du Niger. Mais autour de cette célébration s’est développé un véritable business.
Selon Mahamadou Hassan, pépiniériste basé à la rive droite dans le 5ᵉ arrondissement communal Niamey, le prix des pépinières d’arbre varie en fonction de la période. « Par exemple, lors des fêtes du 03 août, les prix grimpent, selon les variétés, de 2.500 F à 4.000 F, voire au-delà. En d’autres périodes, le prix peut varier entre 1.000 F et 2.000 F », explique-t-il.
D’après l’analyse d’un acteur de la société civile qui a requis l’anonymat, les 100.000 arbres fruitiers prévus par l’opération Niamey ville fruitière coûterait chaque année plus de 200 millions de FCFA aux contribuables nigériens, sans compter les frais connexes. « En raison de la non-protection et du manque d’entretien ou de suivi, près de 70% de ces arbres périssent, soit une perte annuelle d’environ 140 millions de FCFA. Et cela se répète d’année en année. Sur les cinq dernières années, on aurait déjà perdu plus de 700 millions de FCFA dans la plantation d’arbres », s’indigne-t-il. Contactée, la municipalité de Niamey n’a pas souhaité commenter cette analyse alarmante.
Mais selon Hassoumi Toudjani, Directeur de l’Environnement et des aménagements paysagers de la ville de Niamey, la perte considérable des arbres plantée est plutôt liée au comportement humain, à l’imprudence de certains conducteurs qui les écrasent et qui ne s’arrêtent même pas. En plus de cela, les gens ne comprennent pas l’importance de la plantation des arbres, ils ne font même pas attention aux arbres plantés, c’est comme si ce n’était pas pour eux, c’est pour l’État, donc ils s’en foutent. « Il faut une rééducation pour que les gens changent de comportement », précise-t-il.
Le Directeur de l’Environnement et des aménagements paysagers de la ville de Niamey déplore également le comportement de certains chauffeurs des camions citernes d’arrosages de la Mairie, qui trichent par rapport à l’arrosage des arbres. « Par exemple, pour un alignement qui comprend 100 arbres, connaissant la quantité d’eau suffisante pour leur arrosage, le gars va mettre la moitié ou le tiers de l’eau où il fait autre chose. C’est pourquoi il est temps de laisser l’histoire des citernes pour faire des réseaux d’irrigations semi-automatisés et branché à une source d’eau, soit la Société d’exploitation des eaux du Niger ou soit un forage », explique-t-il. Pour lui, l’entretien des arbres demande beaucoup de moyens, notamment pour l’arrosage et la surveillance. Des moyens que la mairie semble ne pas disposer.
Les animaux errants et la chaleur extrême, les autres sources du problème
En Afrique de l’Ouest, la ville de Niamey est réputée capitale des animaux en divagation. Parmi ces animaux errants, on note des chèvres, des cabris et parfois des bœufs. Cette situation constitue un frein à l’évolution normal des arbres plantés pour redorer le couvert végétal de la ville. Dans un communiqué le 6 septembre 2024, le Colonel Boubacar Soumana Garanké, Administrateur délégué de la ville de Niamey a indiqué que « les efforts de reboisement par la plantation d’arbres sur les grandes artères de la capitale et dans certains espaces publics de la ville sont contrariés par la divagation des animaux ».
« C’est pourquoi l’Administrateur délégué de la ville de Niamey porte à la connaissance des citoyens que la divagation et la vente des animaux sont interdites dans les rues et terre-pleins, sur l’ensemble du territoire de la Ville. Conséquemment, tout animal en errance pris, sera mis en fourrière et son propriétaire est passible d’une amende prevue par l’arrêté numéro 0179 du 6 septembre 2024, portant interdiction et répression de la divagation des animaux et réglementant la vente de bétail sur le territoire de la Ville de Niamey », précise le communiqué.
« L’hostilité due aux animaux errants est un véritable problème. Le bosquet qu’on a fait sur la façade de l’aéroport présidentiel et en face de la Cour de cassation, les arbres plantés ont bien tenu, seulement cette année, les gens ont volé les panneaux solaires et la pompe ne fonctionnait plus. En attendant d’arranger tout ça, on a mis une citerne pour arroser bien qu’elle soit déjà débordée. Elle arrivait à faire au moins deux à trois fois par semaine jusqu’à l’arrivée de la grande chaleur de cette année où il faisait plus de 50°C. Certains des grands manguiers qui ont quatre à cinq ans n’ont pas résisté », explique Hassoumi Toudjani.
Pour Dr Amani Abdou, Enseignant-chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique INRAN, les variétés d’arbres comme le Caïlcédrat, le Neem, le Saucissaunier, le Ficus, l’Eucalyptus, le palmier Dattier et le Rônier sont plus adaptés pour se développer dans des milieux urbains comme celui de Niamey. Selon lui, après un suivi et un entretien rigoureux au bout de trois ans, ces arbres peuvent continuer seuls leur développement et tenir face aux difficultés auxquelles ils pourront être exposés.
« Dans le cadre d’une recherche menée conjointement en 2022 entre le ministère de l’Environnement, le ministère de l’Agriculture et le ministère de l’Élevage, pour la protection de 400 arbres [de type résilient aux conditions climatiques extrêmes] sur un hectare, il faudrait un montant de 512.800 FCFA soit 1.282 FCFA par arbre », révèle Dr Amani Abdou.
Sensibiliser et impliquer les populations
Selon le Directeur de l’Environnement et des aménagements paysagers de la ville de Niamey, la nouvelle approche des autorités municipales consiste à intensifier la sensibilisation pour que les populations puissent être responsabilisées, pour que les gens s’approprient ce projet de plantation des arbres. « Il faut que les gens sentent que c’est pour eux, ce n’est pas pour la Mairie », explique-t-il avant d’ajouter, « il n’est pas pour qu’un arbre se développe dans un environnement public qui lui est hostile ».
Selon le rapport national sur les progrès du Niger dans la mise en œuvre du Plan stratégique des Nations Unies pour les Forêts 2017-2030 et l’Instrument des Nations de protection des forêts et arbres hors forêts, le Niger a pris plusieurs mesures visant à inciter les communautés locales et les collectivités territoriales décentralisées dans les actions de reverdissement du pays. Parmi ces mesures incitatives, il faut noter l’organisation, chaque année, du Concours national de lutte contre la désertification qui consiste à primer les meilleurs producteurs qui se sont illustrés dans le cadre des actions de reboisement, et de régénération naturelle assistée.
Cependant, il manque de suivi rigoureux pour permettre réellement le développement de ces arbres plantés. Selon l’état des lieux du Plan forestier national du Niger (PFN 2012 – 2021), il est ressorti que le Niger n’a jamais fait d’inventaire forestier national. Et pourtant, malgré le potentiel limité, les ressources forestières du pays jouent un rôle stratégique pour les populations qui en tirent un complément alimentaire, des médicaments, du fourrage pour le cheptel ainsi que des revenus monétaires.
En outre, la biomasse ligneuse constitue encore la principale source d’énergie pour plus de 90% des ménages vulnérables, ce qui représente de plus de 105 milliards de FCFA. Pour plusieurs experts, il est donc important pour le Niger de renforcer la place qu’occupe le secteur forestier aux plans écologique, social et économique, conformément à l’accord de partenariat établi entre le pays et le mécanisme pour les PFN, dont le coût global est estimé plus de 386 milliards de FCFA.