Dans la capitale malienne, il n’est pas rare de voir certains hôpitaux confier la gestion de leurs déchets biomédicaux aux structures locales de ramassages d’ordures qui les acheminent dans les dépotoirs. Cette pratique est contraire à toutes les règles en matière de gestion des déchets biomédicaux dans le pays. Pour mieux cerner l’ampleur du phénomène et les risques sur l’environnement et la santé humaine, nous avons exploré le mécanisme de gestion des déchets biomédicaux dans certains hôpitaux.
La loi et les normes internationales foulées au pied
Sur la colline de Badalabougou, derrière l’Université ISPRIC, le soleil versait ses lueurs huileuses sur les toits des habitations autour d’un dépotoir d’ordures conventionnel. C’était à la mi-journée, il faisait atrocement chaud. Pourtant, cela n’a pas empêché ces soixantaines de personnes d’aller trier dans les tas immondes des plastiques ou autres objets réutilisables. Dans ce dépotoir, les trieurs d’ordures tombent régulièrement sur des déchets biomédicaux.
Assise sous un petit hangar de fortune, Maïmouna Doumbia, une mère de famille âgée de 71 ans, travaille sur ce dépotoir depuis plus de 30 ans. Ce matin-là, elle trie à mains nues et sans aucune protection un tas d’ordures à la recherche de plastique qu’elle revend aux structures de recyclage.
Maïmouna Doumbia
« Il y a beaucoup de seringues dans ce dépotoir. Et à chaque fois que nous trions, nous sommes piqués par les seringues usagées… Lorsque la seringue nous pique, nous appuyons la partie pour faire sortir le maximum de sang, en espérant éviter une infection, puis nous appliquons du citron. Nous ne pouvons pas aller à l’hôpital, car nous n’en avons pas les moyens », explique la vieille dame.


Ce dépotoir d’ordures est dirigé par Seyba Diarra. Au cours d’un entretien qu’il nous a accordé en avril 2024, il explique : « Nous n’acceptons pas les déchets biomédicaux. Dès que nous voyons les ramasseurs avec ces déchets, nous leur interdisons l’entrée. Nous veillons à ne pas mettre les familles en danger. Quand nous en voyons, nous les poussons plus loin, là où personne ne va, pour éviter tout contact avec les familles ».
Ces déclarations sont en contradiction avec le témoignage du jeune éboueur Madou qui affirme vider ces brouettes de déchets biomédicaux dans ce dépotoir chaque jour sans aucun contrôle : « Je ramasse les déchets biomédicaux et je viens les verser sur ce dépotoir ou je les remets aux propriétaires des champs, personne ne m’a jamais arrêté avec ma brouette ». Nos constats sur le terrain sont assez édifiants : gants en caoutchouc usagers, bandages usagers, boites de sérum usagers, seringues contenant du sang, boîtes de médicament vide, etc.
Selon l’article 22 de la loi n°2021-032 du 24 mai 2021, relative aux pollutions et aux nuisances, « il est interdit de déposer les déchets biomédicaux dans un dépôt de transit ou dans une décharge autre que celle qui leur est réservée ». L’article 23 de la même loi stipule qu’« il est interdit de brûler des déchets biomédicaux solides en plein air à l’intérieur de toute agglomération. Les opérations d’élimination par incinération ne doivent avoir lieu que dans les installations autorisées par le ministère en charge de l’Environnement ».
« Il est interdit d’enfouir des déchets biomédicaux ou de les déposer dans des lieux autres que les décharges qui leur sont réservées et les centres de stockage autorisés », précise l’article 24 de la loi relative aux pollutions et aux nuisances.
Adoptée pour la première fois par l’Assemblée nationale malienne en 2001, cette loi, révisée en 2021, n’a cependant pas vu son décret d’application n°01-394-P-RM du 06 septembre 2001 révisé à ce jour, mais toujours en vigueur par jurisprudence. Une situation qui rend caduque l’application des nouvelles dispositions de la loi, notamment celles relatives aux processus de gestion des déchets biomédicaux.
Le tri des déchets biomédicaux, c’est la base !
D’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), dans son article intitulé « Dechets d’activités de soins » publié en 2005, 85% environ des déchets liés aux soins de santé sont comparables aux ordures ménagères. Les 15% restants sont considérés comme dangereux et peuvent être infectieux ou radioactifs. Selon une étude réalisée en décembre 2028 par la Banque Mondiale dans le cadre du projet « accélérer les progrès vers la couverture sanitaire universelle », une meilleure gestion des déchets biomédicaux doit répondre à un processus rigoureux de tri.
Selon le document, les déchets assimilables aux ordures ménagères (papier, carton, plastiques, flacon d’eau de javel, balayures, débris alimentaires) sont destinés à une poubelle noir. Les déchets anatomiques (pièces anatomiques, les placentas, les fragments d’organes ou de membres non aisément identifiables, les fœtus et les autres déchets similaires résultant des actes chirurgicaux) ainsi que les déchets spéciaux tels que les films de radio, les emballages perdus et les déchets chimiques sont destinés à une poubelle rouge après emballage de façon sécurisée ou avec une mention spéciale pour les réactifs, produits pharmaceutiques périmés et autres substances chimiques.
Les déchets infectieux (sang et produits sanguin incomplètement utilisés ou arrivés à péremption, sérum, milieux de cultures et souches d’agent infectieux provenant des laboratoires, autres liquides biologiques provenant des soins de patients, bandes, compresses, débris de verre contaminé, pipettes, boîte de pétri, pansement, plâtres, matériel à usage unique, flacon de vaccin, tampon, abaisses langue, gants usagers, linge et emballages imprégnés de sang déchets de laboratoire), sont, eux aussi, destinés à une poubelle rouge.
Par contre, les déchets coupants tels que les piquants tranchants, aiguilles, lames de bistouri, rasoirs, têtes de tondeuses, trocarts, différentes verreries, lames de scalpel, broches, flacon de sérum et tubulures de perfusion sont destinés à une poubelle jaune. Après ce tri rigoureux, les déchets des poubelles rouge et jaune, considérés très dangereux pour la santé humaine et pour l’environnement, doivent être éliminé avec précaution dans des incinérateurs conçus à cet effet.
Le triste constat à l’hôpital Gabriel Touré
Situé en plein cœur de Bamako, à proximité du plus grand marché de la ville, le Centre hospitalier universitaire Gabriel Touré est l’un des hôpitaux les plus fréquentés au Mali. Avec ses 600 lits, l’hôpital produit plus de 111 tonnes de déchets biomédicaux solides par an. Toutefois, l’hôpital Gabriel Touré ne dispose pas d’incinérateurs. Raison évoquée, l’hôpital est situé en centre-ville. Pour pallier ce manque, l’hôpital dispose en son sein d’un site de dépôt temporaire où les déchets biomédicaux sont stockés avant leur transfert pour élimination.
Le site de dépôt est composé de trois grandes poubelles en fer destinées aux déchets non dangereux et d’une grille scellée pour les déchets dangereux. Les déchets placés dans la grille scellée sont collectés dans quatre bacs de 660 litres régulièrement enlevés par la société Macrowaste qui procède à l’incinération. Spécialisée dans la gestion des déchets, cette société est prestataire de l’hôpital Gabriel Touré depuis deux ans. Interrogée, la société affirme être confrontée aux problèmes de tri.
En effet, il est très souvent constaté que les 3 poubelles destinées aux déchets ménagers contiennent des déchets biomédicaux dangereux et vis versa. Selon l’assistant exécutif et responsable commercial de Macrowaste, le problème du tri des déchets a été plusieurs fois évoqué lors des discussions avec les responsables de l’hôpital, mais rien n’a changé.
Le site de dépôt temporaire de déchets au sein de l’hôpital Gabriel Touré est visible depuis la fenêtre du bureau du Directeur général. Sur les lieux, les déchets de tout genre jonchent le sol, éparpillés dans tous les sens. Le portail, situé à l’entrée du site et donnant sur l’extérieur de l’hôpital, n’est pas fermé de l’intérieur, laissant la zone libre d’accès aux riverains. Cette absence de sécurité et l’état déplorable du lieu illustrent le peu d’importance accordé à la dangerosité des déchets biomédicaux dans cet hôpital.

« Nous n’avons aucune garantie qui prouve que la population n’est pas en contact avec ces déchets », affirme le chef hygiène de l’hôpital. Laisser sans aucune surveillance, le site est fréquemment envahi par les hommes, femmes et parfois enfants à la quête d’objet réutilisable (sachets, bouteilles vides, plastiques, etc.) pour conserver, parfois, des aliments destinés à la consommation humaine.


Le mauvais tri des déchets, dû à l’absence de poubelles de couleur codée dans les services de l’hôpital Gabriel Touré ne laisse pas indifférent les responsables, qui ont bien conscience du problème. « Il est difficile de superviser le respect des poubelles code couleur. Il y a chaque jour plus d’agents de santé et surtout de stagiaires », déclare le chef hygiène de l’hôpital Gabriel Touré.
« Nous formons nos agents à la gestion des déchets Cependant, nous avons encore besoin de formation et nous manquons de ressources financières. L’État n’octroie pas de fonds nécessaire » explique-t-il avant d’ajouter : « Depuis ma venue à l’hôpital Gabriel Touré en 2014, nous n’avons pas reçu de financement de l’État pour la formation, ce qui nous place face à des difficultés persistantes ».
Dans le cadre de notre enquête, nous avons sillonné différents services de l’hôpital. Au niveau de chaque service, il est affiché des consignes claires sur l’utilisation des poubelles code couleur. Mais ces consignes ne sont pas respectées par les agents de santé. « Chaque agent est responsable de l’hygiène dans son service, mais il revient au chef de service de superviser et de signaler à qui de droit pour le non-respect », souligne ce chef service hygiène.
Recevez-vous alors régulièrement de signalement des chefs services sur le non-respect des consignes de tri des déchets ? Dans sa réponse à cette question, le chef service hygiène pointe du doigt la responsabilité des chefs des différents services de l’hôpital : « c’est plutôt le service d’hygiène, lors de ses missions de supervision qui se plaint du non-respect [des consignes de tri des déchets], sinon nous n’avons jamais reçu de plainte de leur part sur ce sujet ».
Diarra Coulibaly est infirmier major à la Chirurgie générale de l’hôpital Gabriel Touré. Selon lui, le problème de la gestion des déchets biomédicaux dans l’hôpital se trouve ailleurs. « Depuis 2021, l’hôpital a mis en place un cahier de charge avec des supports d’évaluation pour chaque service. Ces supports permettent de noter différents points, comme la gestion des déchets biomédicaux. Il fallait attribuer une appréciation : bon, assez bon, passable ou médiocre. Chaque mois, les évaluations étaient remises au chef du service hygiène. Ces supports permettaient de vérifier si tout allait bien dans chaque service et d’identifier les points à améliorer… Depuis six mois, nous n’avons plus de cahier de charge pour faire ces évaluations », a-t-il déclaré.
Interrogé sur cet état de chose, le chef hygiène s’en défend : « Nous n’avons pas eu de satisfaction avec le cahier de charges. Normalement, le cahier de charge est rempli chaque jour, après vérification de tout le service par le chef d’unité ou le major. Malheureusement, nous avons constaté que les supports ne sont pas remplis comme il se doit. Certains services attendent à la fin du mois avant de donner des notations. Dans d’autres services, les supports [d’évaluation] se perdent avant la fin du mois. Donc découragés, nous avons arrêté ».
Incinérateurs défectueux à l’hôpital du Mali
Contrairement à l’hôpital Gabriel Touré, l’hôpital du Mali dispose de trois incinérateurs. Il s’agit d’un “très” petit incinérateur électrique qui ne traite que les déchets biomédicaux organiques et de deux incinérateurs manuels en très mauvais état, dont un, encore opérationnel avec une cheminée dégradée, est sur le point de s’effondrer. Lors des incinérations, des flammes s’échappent du dispositif et des fuites de fumée sont observées, ce qui compromet l’efficacité de l’élimination des déchets de manière sécurisée et conforme aux normes établies. Dans les cendres issues de cette incinération, on peut apercevoir des débris de verre et de seringues.
Ces débris de verre et de seringues finissent par se retrouver dans les dépotoirs d’ordures ménagères, au contact des éboueurs ou des trieurs d’ordures, affirme le chef du service hygiène de l’hôpital du Mali : « Ces débris sont déversés sur les dépotoirs, l’incinérateur, en mauvais état, n’arrive pas à les éliminer complètement ». À la question de savoir si cette situation a été signalée à l’administration de l’hôpital du Mali, le chef du service hygiène répond : « Nous avons soumis à l’administration un projet de construction d’un nouvel incinérateur, mais nous n’avons pas eu gain de cause ».
Interrogé, le Directeur général adjoint explique que l’hôpital du Mali fonctionne avec ses propres fonds générés. « Nous éprouvons des difficultés financières pour réaliser ce projet. Par conséquent, nous avons soumis le projet à l’Organisation mondiale de la Santé et nous attendons une réponse de leur part ».
L’hôpital Point G ou le dépotoir sauvage des déchets biomédicaux ?
Construit en 1906, l’hôpital Point G est le centre hospitalier de référence du Mali. Confronté aux mêmes problèmes de tri des déchets biomédicaux en raison du non-respect des poubelles code couleur, cet hôpital dispose d’un site de transit censé recevoir des déchets ménagers. Mais sur le site, nous avons retrouvé des déchets biomédicaux dangereux.
En 2005, l’hôpital Point G disposait d’un grand incinérateur de type Montfort. En 2006, l’hôpital avait un accord de principe avec plusieurs hôpitaux pour l’élimination de leurs déchets biomédicaux, faisant de lui un centre d’élimination de déchets biomédicaux de toute la ville de Bamako. Il a ensuite construit 2 autres incinérateurs de type Montfort dans les années 2009 et il s’est doté de trois incinérateurs semi-électrique entre 2013 et 2017.
Quelques mois plus tard, ces trois incinérateurs semi-électriques sont tombés en pannes et face au flux important des déchets venant de tous les horizons, l’hôpital était débordé, au point de devenir un dépotoir sauvage de déchets biomédicaux dont certains sont brûlés à ciel ouvert, selon les témoignages des riverains et de certains agents de l’hôpital. Les fumées dégagées par ces brûlis ont fait l’objet de plusieurs plaintes des populations environnantes sans succès.
En 2022, l’hôpital a reçu de Médecin sans frontières des poubelles codes couleurs et 2 incinérateurs semi-industriels. Bien que l’accord de principe ne soit plus en vigueur, l’hôpital continue de faire face au problème de non-élimination totale des déchets. « Les déchets biomédicaux en verre doivent être concassés avant d’être éliminés, mais en raison du mauvais tri, ces verres se retrouvent dans les incinérateurs et ne sont malheureusement pas totalement détruits », confie le chef incinérateur de l’hôpital point G. Au pied des incinérateurs, nous pouvons constater des débris de verres non éliminés qui jonchent le sol.
Exaspéré par la situation, le technicien d’hygiène nous explique les causes profondes du mal : « Premièrement les agents de santé n’ont pas l’information et ni la formation requises [en matière d’hygiène d’une unité médicale]. Deuxièmement, certains services reçoivent des étudiants en stage [qui ne connaissent pas les règles d’hygiène]. Troisièmement, il y a l’irresponsabilité des responsables de service. On ne peut recevoir un élève en stage sans lui expliquer les règles d’hygiène de son service. Quelques rares responsables le font, mais la majorité ne s’en soucient pas ».
Niveau d’hygiène alarmant dans les hôpitaux
Dans le cadre de notre enquête, nous avons cherché à savoir quelle est l’autorité chargée de veiller à l’hygiène dans les hôpitaux du Mali. Pour le savoir, nous avons contacté la Direction générale de la santé. Cette direction nous informe qu’elle ne s’occupe pas des hôpitaux, mais plutôt des centres de santé de référence.
La direction nous informe également que l’évaluation de la gestion des déchets biomédicaux ne relève pas de ses compétences, mais plutôt de l’Agence nationale d’évaluation et de l’accréditation des hôpitaux (ANAES). Nous nous sommes rendus à l’ANAES qui nous indique que cette mission est de la responsabilité de la Direction générale de la santé.
Face à ce ping-pong entre la Direction générale de la santé et l’ANAES qui se rejettent la responsabilité de l’évaluation de l’hygiène des hôpitaux en République du Mali, nous sommes entrés en contact avec Gaoussou Keïta, Conseiller technique de l’ANAES et ancien chef de la division hygiène publique et salubrité à la Direction générale de la santé, qui a bien voulu répondre à nos questions.
« En 2022, le taux d’évaluation des hôpitaux en matière d’hygiène, selon les normes de conformité, variait de 25% pour l’hôpital de Ségou à 66,66% au Centre national d’Odonto Stomatologie. Les hôpitaux du Mali, Point G, Gabriel Touré et le CSREF de Sogoniko se situent dans cet intervalle avec un taux global de 38,09% », explique-t-il.
Pour Gaoussou Keïta, « ce faible taux [d’hygiène dans les hôpitaux] est dû à l’insuffisance de tri, et le non-maintien du tri au niveau du transport ». « Des structures avaient un taux de conformité de 0%, ce qui n’est plus le cas de nos jours. Cependant, le principal défi est d’assurer la gestion durable des déchets biomédicaux sans risque pour la santé et l’environnement », indique-t-il.
Après plusieurs réticences, nous avons finalement été reçus par Moussa Ag Hamma, sous-Directeur général de la Santé en charge de l’hygiène publique. Selon lui, le Mali dispose d’un Plan stratégique national de gestion des déchets biomédicaux, renouvelé tous les cinq ans. Dans ce plan, il est inclus les normes et procédures en matière d’hygiène, ainsi qu’un guide sur la gestion des déchets biomédicaux, rédigés par la Direction générale de la santé et de l’hygiène publique. Sauf que l’actuel plan stratégique national, adopté en 2017, est obsolète, car il aurait dû être renouvelé depuis 2021.
Au Mali, le ministère de l’Environnement dispose d’un texte qui établit les règles de gestion des déchets biomédicaux. Le ministère de la Santé, quant à lui, n’en dispose pas. « Le gros problème que nous avons au Mali, c’est qu’il n’y a pas de texte établi par le ministère de la Santé sur la gestion des déchets biomédicaux. Cela signifie qu’il n’y a pas de contrainte. Si un responsable de santé n’a aucune contrainte judiciaire ou réglementaire qui l’oblige à s’intéresser à la gestion des déchets biomédicaux dans son établissement de santé, il ne va pas orienter le peu de financement qu’il a, vers ce secteur », explique Moussa Ag Hamma.
« Nous avons réalisé une évaluation dans le district de Bamako il y a quelques années, dans des établissements publics et privés, poursuit-il, il en ressort qu’une très grande proportion des responsables d’établissement de santé n’ont aucune idée de la destination finale des déchets qui sont générés dans leur établissement de santé ».
Insuffisance de personnel de suivi, l’autre défi
En absence de dispositions claires sur la gestion des déchets biomédicaux et de ressources adéquates émanant du ministère de la Santé, les centres de santé communautaire sont livrés à eux-mêmes. C’est le cas du centre de santé communautaire de Sogoniko de la commune VI de Bamako. Situé en pleins milieux des habitations, impossible d’installer un incinérateur.
Les déchets biomédicaux de ce centre sont donc ramassés tous les jours par un Groupement d’intérêt économique (GIE) nommé GAMOU, moyennant une tarification de 60.000 FCFA par mois. Selon le responsable du GIE, la structure a une autorisation de la Mairie pour gérer les déchets biomédicaux, mais elle n’a ni une accréditation du ministère de la Santé, ni une accréditation du ministère de l’Environnement conformément à l’article 23 de la loi n°2021-032 relative aux pollutions et aux nuisances.
Et pourtant, le GIE Gamou dispose de deux incinérateurs non fonctionnels et en très mauvais état, installés à proximité du marché de bétails de faladié. A plusieurs reprises, les riverains se sont plaint de la fumée dégagée par ces incinérateurs. Parfois, la population manifeste son mécontentement en éteignant elle-même les incinérateurs en cours d’utilisation en y versant de l’eau.
Pour atténuer les tensions, le GIE brûle souvent ces déchets biomédicaux dans les fosses à ciel ouvert dans la zone aéroportuaire a environs 5 km du centre ville. Selon le responsable du GIE GAMOU M. Amadou Sagara « nous avons exposé le problème à la mairie de Sogoniko et même au CSREF de sogoniko, mais la seule proposition de la mairie a été le cimetière, mais nous n’avons pas reçu d’accord ».
Selon Niarga Oulé Dembélé, Directeur national de l’assainissement et du contrôle des pollutions et des nuisances, un GIE ne peut gérer les déchets biomédicaux sans une accréditation du ministère de l’Environnement, de l’assainissement et du développement durable même s’il dispose d’une autorisation de la mairie.
La mauvaise gestion des déchets biomédicaux dans les établissements de santé de Bamako est accentuée en raison d’un manque de suivi, une mission dévolue à la Direction nationale de l’assainissement et du contrôle des pollutions et des nuisances (DNACPN). Mais cette mission est compromise par un manque de personnel.
Selon Niarga Oulé Dembelé, Directeur de la DNACPN, « la temporalité de suivi des hôpitaux laisse à désirer. Le rythme est lent. Dans le cadre organique de la DNACPN, sur toute l’étendue du territoire, il est prévu environ 1.500 agents, mais nous n’avons même pas actuellement 400 agents en tout et pour tout. Un cadre organique pourvu seulement à 22%. Couvrir tout le pays devient difficile. Ce manque de suivi peut causer beaucoup de dégâts ».
Le problème a-t-il été posé sur la table du ministre de l’Environnement, de l’assainissement et du développement durable ? A cette question, Niarga Oulé Dembelé répond : « Tous les ans à la fin de l’année, une rencontre de bilan est organisée. Cette année, en février, lors du bilan 2023 à Koutiala, le problème a été évoqué. Des réponses sont en cours ». Quel type de réponse, nous n’en savons encore rien, mais il nous a donné deux mois pour faire le point et résoudre le problème.
Quelques jours après cette déclaration, le dépotoir sauvage de déchets biomédicaux de l’hôpital Point G a été rasé par la DNACPN, en partenariat avec Médecin sans frontières. Les déchets enlevés ont été transportés vers une zone de confinement de la DNACPN à Sikasso, une localité située à environ 290 kilomètres de la ville de Bamako. Selon une source au sein de l’hôpital, ces déchets ont été acheminés à Sikasso à bord d’une vingtaine de semi-remorques.
Mais force est de constater que l’ancien dépotoir sauvage a laissé place à un tas de déchets biomédicaux provenant du service de dialyse. Ces déchets attendent la réparation de deux anciens incinérateurs semi-électriques pour être enfin éliminés. « Les incinérateurs encore en état de marche n’ont malheureusement pas la capacité de les traiter », explique le technicien d’hygiène.
Manque de ressources financières ou mauvaise gestion des fonds ?
Le manque de ressources est l’une des principales causes de la mauvaise gestion des déchets biomédicaux dans les hôpitaux du Mali. Selon Dr Diallo Breïma, Directeur adjoint de l’hôpital Point G, le budget alloué à l’hôpital a considérablement diminué au fil des années et cela a créé un problème financier. « Le budget de fonctionnement de l’hôpital a été réduit à hauteur de 65%. De 789 millions de FCFA, nous sommes passés à moins de 200 millions de FCFA. Cette année, nous faisons face à une réduction de 82% », affirme-t-il.
Pour le Directeur général adjoint de l’hôpital Gabriel Touré, la mauvaise gestion des déchets biomédicaux est un problème financier, compte tenu de la situation économique actuelle du pays. « Nous avons externalisé la gestion de nos déchets biomédicaux, en traitant avec une société sous contrat. Cependant, il arrive parfois que nous rencontrions des difficultés à honorer les paiements en raison des contraintes budgétaires, d’autant plus que ce contrat dépend de fonds gouvernementaux », explique-t-il.
« La crise malienne de 2012, poursuit-il, n’a pas interrompu le financement de l’État à l’égard de l’hôpital Gabriel Toure, cependant, il faut le dire, le budget a beaucoup baissé ». « Dans quelle proportion ? » A cette question de relance, nous n’avons reçu aucune précision. « Ça, je ne peux pas vous dire », répond-t-il.
A la Direction générale de la santé et de l’hygiène publique, on est bien consciente du manque de ressources financières pour une meilleure gestion des déchets biomédicaux dans les établissements de santé. « Il y a un manque de ressources financières. Le financement alloué reste insuffisant. Lorsqu’on fait une répartition budgétaire au niveau des établissements de santé, la gestion des déchets biomédicaux est un domaine où l’on n’octroie pas assez de fonds. Pourtant, pour un bon tri, un bon transport et une bonne incinération, il faut un budget adéquat. Or le budget alloué n’est pas toujours à la hauteur des besoins », déclare-t-il.
Réunis à Abuja au Nigeria en 2001, les États membres de l’Union africaine, dont fait partie le Mali, se sont engagés à allouer 15% de leur budget au secteur de la santé afin de faire face aux défis sanitaires. Selon une source de la Direction générale du budget, « le Mali a alloué au secteur de la santé environ 6% de son budget », soit environ 173 milliards de FCFA en 2023 pour un budget global de plus de 2.895 milliards de FCFA. Cette même source indique que plusieurs raisons expliquent cette faible affection de ressources au secteur de la santé, notamment la crise sécuritaire de 2012.
Cependant, dans son rapport 2023 que nous avons pu consulter, le Bureau du vérificateur général (BVG) a indiqué que « la gestion des ressources destinées à l’assainissement et à l’évacuation des déchets solides du district de Bamako connaît une irrégularité financière de près de 6 milliards de FCFA ».
L’impact sur l’environnement et la santé humaine
La mauvaise gestion des déchets biomédicaux dans les établissements de santé de Bamako n’est pas sans conséquence sur l’environnement et la santé humaine. Selon plusieurs experts, la fumée dégagée par les incinérateurs en mauvais état et non conformes ou le fait de brûler à ciel ouvert les déchets biomédicaux dangereux constituent une source d’émission du gaz à effet de serre très nocifs.
Ce gaz carbonique pourrait s’attaquer à la couche d’ozone, causer un dérèglement climatique, ce qui peut constituer un grand danger pour l’humanité. En avril 2024 la température au Mali dépassait les 45c. Cette canicule, l’un des effets du changement climatique, a causé au moins « 102 décès en 4 jours à l’hôpital Gabriel Touré », selon le Professeur Diango Mahamane Djibo, Chef de département de la médecine d’urgence, d’anesthésie-réanimation de l’hôpital Gabriel Touré.
Cette mauvaise gestion des déchets biomédicaux peut également avoir un impact significatif sur la nappe phréatique en raison des composants toxiques qu’ils contiennent. Ces substances toxiques peuvent s’accumuler dans le sol et affecter la santé des plantes, résultat d’un faible rendement agricole. Selon la Banque Mondiale, le Mali, à l’instar des autres pays de l’Afrique de l’Ouest, est très vulnérable au réchauffement climatique.
En 2000, l’Organisation mondiale de la Santé estimait que, dans le monde, les accidents avec déchets piquants/tranchants ont causé 66.000 cas d’infection par le virus de l’hépatite B, 16 000 cas d’infection par celui de l’hépatite C et 200 à 5.000 cas d’infection par le VIH chez le personnel des structures de soins. Ces taux alarmants démontrent la mauvaise gestion des déchets biomédicaux.
Selon de Dr. Diallo Breïma, « les fumées dégagées [par une mauvaise incinération des déchets biomédicaux] peut causer des maladies respiratoires à toute personne qui l’aspire et les personnels de santé, les malades ainsi que les accompagnateurs de malades ne sont pas à l’abri des maladies nosocomiales si les déchets sont mal gérés et que l’hôpital manque d’hygiène ».