Alors que le monde redécouvre l’ingéniosité des solutions basées sur la nature, un rapport détaillé de la FAO publié cette année met en lumière les traditions des pasteurs nomades au Mali qui ont un mode de vie respectueux de l’environnement depuis des siècles.
Le peuple Kel Tamasheq, qui vit au milieu des sables du Sahara près de Tombouctou, se nourrit principalement de produits locaux, génère peu de déchets, et peut se vanter d’une empreinte carbone négligeable.
Le monde de la communauté s’articule autour d’une tradition de transhumance qui suit un déplacement saisonnier ; pendant la saison sèche, qui dure plus de six mois de l’année, les pasteurs migrent vers le sud avec leur cheptel à la recherche de terres de pâture et d’eau.
Le changement climatique et la désertification croissante ont fortement affecté le système alimentaire des Kel Tamasheq, en particulier l’assèchement du lac Faguibine, ce qui a intensifié la dépendance de la communauté aux marchés.
Le déplacement est un mode de vie chez les Kel Tamasheq du nord du Mali. Vivant près de Tombouctou au nord du mali, les traditions de transhumance de cette branche de Touaregs (ou Tuaregs) qui parle le Tamasheq ont subsisté depuis avant le 15e siècle.
Selon Aboubacrine ag Mohamed Mitta, un membre de la communaute Kel Tamasheq, leurs ancêtres étaient de purs nomades. Ils vivaient comme des nomades, suivant leurs animaux au milieu du désert. Mitta est également le président du Réseau des Peuples Pasteurs du Sahel, connu par son sigle français RPPS, et l’un des auteurs du rapport le plus complet sur les systèmes alimentaires autochtones publié par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
« Nous essayons de suivre leur exemple », a-t-il dit à dans une interview .
La fidélité à la tradition n’est pas seulement une question de respect pour les Kel Tamasheq. Vivant au milieu des sables inhospitaliers du Sahara, elle est essentielle à leur survie. La région reçoit moins de 200 millimètres de précipitations par an, et les températures dépassent 45° Celsius en été.
Un mode de vie pastoral peut sembler en dehors du temps dans un monde qui se développe sur l’asservissement du système naturel, en particulier le contrôle de la production alimentaire. Mais la capacité des Kel Tamasheq à façonner leur vie autour de leur environnement pourrait détenir des clés pour la navigation d’une planète chamboulée par un réchauffement rapide.
D’ici 2100, le nord du Mali pourrait lui-même être, en moyenne, plus chaud de 4,7 °C, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le plus haut organisme de recherche sur le climat de l’ONU. Dans la nation ouest-africaine, où près de 65 % des terres sont soit désertiques (Sahara) soit arides (Sahel), le spectre de la désertification plane. Les zones sahéliennes pourraient bientôt ressembler à son désert du nord à mesure que le Sahara s’insinue vers le sud à travers l’Afrique.
Tandis que le désert grossit, le monde nomade lui-même se dissout doucement en raison de pressions externes et de changements internes. Le rapport de la FAO est une tentative d’attirer l’attention sur ce mode de vie et de le documenter, et en particulier, leurs traditions alimentaires.
Au Mali, où près de 65 % des terres sont soit désertiques (Sahara) soit arides (Sahel), le spectre de la désertification plane.
Un système alimentaire durable dans le désert
Dans le monde occidental, Tombouctou se trouve aux bords imaginaires de la Terre. Aratène, où l’enquête de la FAO a été menée, est plus à l’ouest que Tombouctou, l’une des plus grandes villes du Mali, la capitale de la région du nord de Tombouctou.
Pendant la saison sèche, qui dure plus de six mois de l’année, les pasteurs migrent vers le sud avec leur cheptel à la recherche de terres de pâture et d’eau. « Les animaux sont tout pour un Kel Tamasheq. Nous buvons leur lait. Nous mangeons leur viande, nous utilisons leur peau, nous les échangeons », dit un proverbe local. Lorsque les animaux meurent, les Kel Tamasheq meurent aussi. »
Les chèvres sont un bon exemple de ce principe. Les chèvres vivantes fournissent du lait et du fromage. Morts, les animaux fournissent de la viande et des peaux de chèvre pour stocker les provisions dans les implantations et sur les longs déplacements.
Le paysage qu’ils traversent est sableux et clairsemé, arborant des arbustes et des buissons épineux, des dattiers du désert (Balanites aegyptiaca), des jujubiers (Ziziphus spp.), des asclépiades (Calotropis spp.) et des euphorbes (Euphorbia spp.). Les femmes et les filles ramassent des jujubes et des dattes qui poussent sur les arbres. Les dattes sont utilisées pour fabriquer une boisson traditionnelle, ăšăboraɣ, alors que les jujubes sont utilisés pour faire une boisson et une sorte de pain.
Ces arbres sont également la source de remèdes pour des troubles comme le diabète et l’hypertension. Certaines parties du dattier peuvent être brûlées et moulues pour produire un baume pour les blessures et les abcès.
La saison des pluies est consacrée au stockage des céréales, au jardinage et à la vente de produits. Sur les marchés, les moutons, les chèvres, le lait, le beurre et le fromage sont en abondance. Les produits alimentaires qui ne sont pas produits localement, comme le riz, le sorgo, le thé, le sucre et le miel, sont achetés au marché.
Aujourd’hui les communautés obtiennent plus d’un tiers de leur nourriture sur les marchés. Même les produits fortement transformés, comme les pâtes et le lait en poudre s’infiltrent dans leurs régimes alimentaires. Toutefois, les membres de la communauté voient principalement ces produits comme des compléments à leur alimentation. La nourriture produite localement est encore le plat principal. Selon Mitta, si un Touareg ne peut pas trouver de lait, de viande ou de beurre, sa santé ne peut pas être bonne. Parce que lorsqu’on est né dans cette communauté, dit-il, si l’on vit en mangeant autrement, on ne peut pas être en bonne santé.
L’empreinte écologique des nomades est légère. Le fait de quitter les zones sans eau et pâturages et de revenir ultérieurement permet aux terres de se régénérer. Le travail manuel est la source d’énergie la plus importante d’un nomade, pour tout, du soin aux animaux à la préparation de la nourriture. Le bois et le charbon sont aussi utilisés en cuisine ; parfois le crottin des bestiaux ou des chameaux sert aussi de combustible. La plupart des déchets produits par les communautés sont biodégradables, car ils proviennent de matière animale ou végétale.
« Les animaux sont tout pour un Kel Tamasheq. Nous buvons leur lait. Nous mangeons leur viande, nous utilisons leur peau, nous les échangeons. Lorsque les animaux meurent, les Kel Tamasheq meurent aussi », dit un proverbe local.
Le changement climatique menace le système alimentaire nomade
Suivre les traces de leurs ancêtres devient de plus en plus difficile pour les Kel Tamasheq. La sécheresse, les tempêtes de sable, les inondations et l’exceptionnelle précarité de la disponibilité des ressources pèsent lourd. « La menace principale est l’absence de pluie. Sans pluies, il y a une sécheresse, et les animaux ne peuvent pas vivre. Cela a un impact sur la population nomade, sans nourriture, pas de lait, pas de beurre, pas de viande », dit Mitta.
Des répercussions des graves sécheresses des années 1970 sont encore ressenties aujourd’hui. Des sécheresses ont à nouveau touché le Mali en 1982 et 1984. Les troupeaux de bétail se sont réduits jusqu’à ne représenter que 15 % de leur taille d’origine.
Pendant des siècles, cinq lacs reliés entre eux (Télé, Takara, Gouber, Kamango et Faguibine) s’étendaient à 80 kilomètres à l’ouest de la ville de Tombouctou, fournissant de l’eau aux Kel Tamasheq de la région. Il s’agissait de l’une des zones les plus fertiles du Mali. Dans les dernières décennies, le système du lac Faguibine s’est considérablement réduit en raison des sécheresses, de la désertification et de la mauvaise gestion. Sa plaine d’inondation s’est rétrécie de plus de 1 000 kilomètres carrés pour atteindre environ 90 km2 en 2010.
Ces chocs répétés ont dénoué les communautés, vaincu les économies locales et poussé les gens à quitter les zones désertiques.
Ils ont aussi laissé une empreinte sur les habitudes alimentaires des Kel Tamasheq. Jusque dans les années 1970, la communauté produisait principalement pour l’autoconsommation, mais dans les dernières décennies, sa dépendance aux marchés a augmenté.
« Dans cette communauté, la consommation régulière de céréales et d’autres produits du marché signifie une impuissance », note le rapport de la FAO, un testament de l’insuffisance de leur système de production alimentaire. La production pour le marché a aussi augmenté l’agropastoralisme.
Un groupe de discussion avec des participants de la communauté à Aratène.
Vendre des animaux est le dernier ressort pour les membres de la communauté en période difficile. Mitta a expliqué qu’ils vendent leurs animaux sur les marchés pour payer pour les aliments qu’ils y achètent.
« Les gens changent leur façon de vivre à cause des changements climatiques ou naturels, de la dégradation environnementale, ou de l’insécurité politique », a dit Clarisse Umutoni qui a étudié la transhumance au Mali à l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides (ICRISAT) au Niger.
Le nomadisme lui-même a pris une forme différente. Avant, Umutoni a expliqué que des familles et des groupes entiers se déplaçaient ; y compris les femmes, les enfants et les personnes âgées. Aujourd’hui, seuls les hommes entreprennent les migrations saisonnières, laissant leurs familles dans des implantations plus permanentes où elles peuvent pratiquer l’agriculture.
Une autre raison convaincante est la pression politique d’envoyer les enfants à l’école pour recevoir une éducation avalisée par le gouvernement. La plupart des Kel Tamasheq, qui sont des disciples de l’Islam, ont des éducateurs traditionnels au sein de leurs communautés qui transmettent l’enseignement religieux.
La santé est un autre facteur. Les anciennes traditions ont toujours servi tous les membres de la communauté. C’était vraiment difficile pour les personnes vulnérables dans les familles, en particulier les femmes et les enfants, a dit Umutoni. « Ils n’avaient pas accès à l’éducation et à des services de santé. » Une étude de 2021 a trouvé que parmi les pasteurs nomades au Mali, y compris les Kel Tamasheq, le manque de transport et le coût étaient la raison principale pour laquelle les gens n’utilisaient pas les services de santé. Pour une implantation considérée dans l’étude, l’hôpital local le plus proche était à 40 km, et pour un autre, il était à 20 km.
Instabilité politique et conflits intenses à propos des terres
La disparition des ressources naturelles et la coupure des modes de vie anciens ont alimenté l’instabilité politique dans la région. Les peuples touareg vivant en Algérie, au Niger et en Libye aspirent à un état autonome depuis des siècles. Une rébellion qui a éclaté au Niger dans les années 1990 a aussi touché les communautés touareg au Mali. En 2012, elle est arrivée à un point critique lorsqu’un mouvement touareg appelé Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et des groupes islamistes armés ont attaqué les forces du gouvernement malien dans le nord du pays, allant jusqu’à déclarer un état indépendant de l’Azawad. Ils sont ensuite entrés dans un cessez-le-feu avec le gouvernement, mais la paix négociée n’a pas duré, et le conflit continue aujourd’hui.
En raison de ces années d’instabilité, la population touareg est maintenant encore plus dispersée au Mali et dans toute la région.
Au Mali lui-même, la fracture est profonde entre les peuples nomades et pasteurs du nord et les agriculteurs du sud, les habitants du Sahara dénonçant leur marginalisation. Avec la dégradation environnementale, les nomades du nord sont obligés de compter de plus en plus sur l’eau et les terres de pâture au sud, ce qui intensifie les tensions avec les agriculteurs sédentaires là-bas.
Les troupeaux d’animaux sont souvent vus comme une menace pour les cultures et peuvent déclencher de violentes confrontations entre les deux groupes. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains pasteurs se sont alliés avec des groupes armés, afin de protéger leur bétail de ces attaques, a dit Umutoni. « Les conflits augmentent de jour en jour. Nous pouvons nous attendre au pire si de sérieuses mesures ne sont pas prises pour résoudre ces conflits. »
Le système alimentaire des populations pastorales des Kel Tamasheq à Aratène, Mali.
Personne n’est propriétaire des terres des Kel Tamasheq, mais des groupes interdépendants reconnaissent des droits traditionnels à des sources d’eau et des terres de pâture. Le Mali a des lois nationales consacrant leurs droits à ces ressources critiques et reconnaissant leur rôle dans la préservation de leur environnement. Mais sur le terrain, ces garanties juridiques ne sont pas à la hauteur, en particulier alors que les pasteurs sont de plus en plus repoussés contre les communautés agricoles où les droits fonciers sont mieux définis et appliqués.
Des efforts visant à améliorer les conditions dans leur terre natale au Sahara sont aussi compliqués. En 2008, le gouvernement malien s’est associé au Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) pour restaurer l’écosystème du lac Faguibine. Cette action était censée aider près de 200 000 personnes, en particulier des nomades. Le projet a échoué, principalement en raison de la détérioration de la situation de la sécurité depuis 2011.
Ces dernières années, la vie politique du Mali a sombré dans le chaos. Le pays a été le théâtre de deux coups d’État successifs en 2020 et cette année.
Le pays n’a toujours pas de gouvernement démocratique, les dirigeants militaires promettant des élections démocratiques le plutôt que possible .
Ces bouleversements de leur paysage écologique et politique ont laissé pour compte ces communautés nomades pourtant résilientes et endurcies par le désert. « Quand quelqu’un quitte sa propre zone, il a toujours des problèmes », a dit Mitta. « Quand on est étranger, on a toujours des problèmes. »