- Une évaluation approfondie de l’Étude d’Impact Environnemental et Social (EIES) de la Banque Africaine de Développement (BAD) met en évidence plusieurs inquiétudes majeures.
- La communication rompue entre les communautés et les responsables du CVET
- La pêche n’est plus praticable dans certains cours d’eaux environnant le CVET
- Le tri des déchets pas opérationnel/systématique
- Le plan de Gestion Environnementale quasi inexistante
- La non implication des villages voisins dans la mise en œuvre du projet
Mis en service le 2 novembre 2018, le Centre de Valorisation et d’Enfouissement Technique (CVET) est une infrastructure dont la réalisation est censée structurer et moderniser la chaîne de collecte et de transport des déchets solides ménagers du District d’Abidjan, avec ses 6 millions d’habitants.
Bâti sur une superficie de 100 hectares, le CVET de Kossihouen a une capacité de traitement de 1 250 000 tonnes de déchets par an, soit 90 % des déchets produits, selon les autorités ivoiriennes. Il est considéré comme une approche moderne pour gérer les déchets solides domestiques du District autonome d’Abidjan.
Pour ce qui semble être la solution “moderne” trouvée pour remplacer l’ancienne décharge d’Akouédo, le CVET est en passe de devenir une catastrophe environnementale majeure, pour l’environnement, pour le climat, pour les riverains. Akouédo était une décharge sauvage à ciel ouvert. Selon les résultats de nos investigations, pour l’air, l’eau et les sols, Kossihouen semble pire. Nous avons enquêté.
Un dimanche de mai 2025, dans la matinée, dans un calme qui caractérise le village de Kossihouen, l’on entend résonner au loin les chants des oiseaux qui se mêlent à ceux d’une église à proximité du seul centre de santé à l’entrée du village.
En l’absence du Chef du village, M. Danho Ademian Joseph, c’est son adjoint, M. Danho Alloh Pierre me reçoit spontanément à la chefferie. Il est entouré de M. Yapi Amani Edouard, Notable; M. Kouassi Amando Alfred, porte-parole de la Génération Bléssoué; et M. Danho Dahno Elie, Secrétaire à l’organisation de la jeunesse. Lorsque j’aborde les raisons de ma venue dans le village, les mines se grisent. Entre colère et frustrations, les langues se délient…
“Le CVET, c’est de la Merde !”, Martelle Dahno Dahno Elie. L’adjoint au Chef explique “Après l’élection du nouveau Chef du village en février 2021, nous avons approché l’ancienne chefferie pour nous faire le point de la situation sur les rapports avec les responsables de la gestion du CVET. Nous n’avons jusque là pas eu de retour. Nous avons également à plusieurs reprises, d’entrer en contact avec les responsables de Clean Eburnie, sans succès. Il continue “nous avons demandé à les rencontrer pour échanger sur certains aspects de la gestion du CVET, et notamment les dysfonctionnements que nous avons noté (mauvaises odeurs provenant des déchets, la contamination de certains fleuves et cours d’eau environnants), mais sans suite, finit-il par dire l’air déçu de la situation.

À Kossihouen, il y a ce qui est visible à l’œil nu, et ce qui, non moins préoccupant, est invisible. Ce que la chefferie et ses habitants ne savent pas, est qu’au-delà de leurs observations, la décharge désormais présente dans le décor de leur village, est aussi le principal point d’émission de méthane de toute la Côte d’Ivoire selon les données recueillies sur Carbon Mapper.
Le méthane, un gaz à effet de serre aux conséquences significatives sur le climat
Carbon Mapper est une plateforme qui, depuis 2021, recueille les concentrations de méthane et de CO2 provenant de sources spécifiques, comme l’infrastructure pétrolière et gazière, les décharges et les fermes laitières. Selon des données de cette plateforme recueillies en 2023, le CVET est la plus grande source d’émission de méthane du pays, avec 1,4K de méthane par heure.

Ce taux est si important qu’il est détectable par des satellites depuis le ciel. En effet, les satellites NASA des ont détecté ces émissions de méthane sur le site, à raison d’environ 1,4 tonne de méthane par heure.

Vous avez sûrement souvent entendu parler du CO2 (dioxyde de carbone) comme gaz qui réchauffe l’atmosphère. La méthane fait pire. “Molécule par molécule, le méthane a un pouvoir de réchauffement plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone”, selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement.
Le méthane est le gaz le plus dangereux pour le climat, 25 fois plus nuisible que le dioxyde de carbone (CO₂). Il est généralement émis “lors de la production et du transport du charbon, du gaz naturel et du pétrole. Les émissions de méthane proviennent également de l’élevage et d’autres pratiques agricoles, de l’utilisation des terres et de la décomposition des déchets organiques dans les décharges municipales”, comme celle CVET de Kossihouen.
« Chaque année, plus de deux milliards de tonnes de déchets municipaux solides (DMS) sont générés à travers le monde « , selon un rapport publié en 2024 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Si ce méthane s’échappe dans l’air, cela pollue et contribue fortement au changement climatique.
Dans la lutte contre le changement climatique, des efforts sont déployés à travers le monde pour limiter son émission ou sa propagation dans la nature. Parce que même s’il est le plus nocif, il reste aussi le plus maîtrisable, selon les chercheurs.
M. ANGOUA Angoua Joseph, Docteur en Géographie Physique et Environnement option Climatologie, explique ces chiffres en termes simpes. “Pour donner une idée concrète, c’est comme si cette décharge rejetait dans l’air l’équivalent de 650 tonnes de CO2 par an”.
Des émissions de méthane ont été détectées dans tous les cas, avec un taux moyen de 2,7 tonnes de méthane par heure. À titre d’illustration, ces émissions correspondent à 23 652 tonnes de méthane par an, ce qui équivaut aux émissions de gaz à effet de serre de 157 618 véhicules particuliers à essence roulant pendant un an.
Le CVET de Kossihouen, deux poids, deux mesures
A travers la planète, les pays élaborent un document appelé Contribution Déterminé au Niveau National (CDN) à travers lequel ils recensent leurs engagements en faveur climat. La Côte d’Ivoire a publié le sien en (mois) 2015 mis à jour en mars 2022.
Dans la première version de ce document élaboré par les autorités ivoiriennes, qui précède le lancement du CVET, il est clairement indiqué que la Côte d’Ivoire a pris l’engagement de réduire ses émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) de 28,25 % à travers ses premières Contributions Déterminées au niveau National (CDN), ce qui équivaut à un abattement d’environ 10 millions de tonnes équivalent CO2 d’ici 2030 par rapport à un scénario de référence.”
La version révisée datant de 2022 n’a pas remis en cause les premiers engagements. Elle a en revanche réitéré et renforcé les engagements en rehaussant “son ambition climatique à 30,41% correspondant à un abattement de trente-sept (37) millions de tonnes équivalent CO2 des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) de tous les secteurs, y compris la Foresterie et les autres Affectations des Terres (FAT), à l’horizon 2030.”
La Côte d’Ivoire a, en outre, adhéré en 2018, à l’Initiative Mondiale sur le Méthane ou Global Methane Initiative (GMI), un partenariat visant à réduire les émissions dudit gaz dans l’atmosphère. Un an plus tard, soit après le démarrage du CVET, le pays continuait de multiplier ses engagements à l’international, en adoptant, en avril 2019, une stratégie nationale de réduction des polluants climatiques de courte durée de vie. Ces polluants, qui incluent le méthane, sont des substances qui “ont un effet considérable sur les changements climatiques” selon les Nations Unies, et dont la durée de vie dans l’atmosphère peut aller à des dizaines d’années – relativement peu comparé à d’autres gaz comme le CO2.
Selon l’EIES réalisée par la BAD, un Plan de Gestion Environnementale et Sociale a été recommandé pour atténuer les risques environnementaux liés au CVET de Kossihouen (image-ci dessous). Mais est-ce vraiment le cas sur le terrain?

Selon nos informations recueillies à Kossihouen, certains cours d’eaux ont été contaminées par les lexiviats (eaux usées provenant des déchets). M. Danho Dahno Elie explique. « C’est en 2021 que nous avons contasté la contamination des fleuves Brepkan et M’pra et du cours d’eau appelé Ëbè. Ces eaux ont changé de couleur, et la pêche n’y est plus possible ».

Le village de Kossihouen ne semble pas être le seul impacté par la contamination de ces eaux. Les villages de Gébo 1, Gébo 2, Bogo, Nokouagon, Petit Danané sont également concernés.
Nous avons rencontré le Chef du villlage de Guébo 2, M. MOBIO Emmanuel. Le constat est le même. Le village de Guébo 2 ressent les effets négatifs de la présence du CVET dans la zone. « Nous sentons les odeurs des déchets en provenance de la décharge. Entre la contamination de la nape phréatique, et la mauvaise qualité de l’air, nous ne sommes pas loin d’une bombe à retardement écologique », explique-t-il. « Quand il s’agit de dons, le village de Guébo 2 est laissé pour compte. Nous ne bénéficions pas des retombées positifs (construction d’école, dons de matériels…), liés à sa mise œuvre », a-t-il déploré.

Nous avons contacté par courrier les différents acteurs responsables de la mise en œuvre des recommandations de la Banque Africaine de Développement. Au moment où nous publions cet article, aucune d’entre elles n’a donné suite à nos questions posées.
Cet article est rédigé par Aïssatou Fofana (Côte d’Ivoire) avec le soutien de la CENOZO dans le cadre de la phase 3 du projet OCRI (Open Climate Reporting Initiative).







