C’est sans appel : la gestion douteuse au sein de l’Agence Nationale pour la Sécurité Routière (ANASER) a été mise au goût du jour. Elle met en cause l’ancienne Directrice générale, Mme Diadji Sacko, qui a dirigé l’agence pendant la période d’octobre 2019 à août 2022. Ces révélations fracassantes sur la gouvernance de l’ANASER émanent du rapport annuel 2023 du Bureau du Vérificateur Général, remis le jeudi 14 novembre dernier, au Président de la transition et axé sur le condensé de synthèses de l’ensemble des rapports sectoriels déjà rendus publics.
Alors qu’elle passait le témoin à M. Ousmane Maïga, faisant comme si elle ne se reproche absolument rien, l’ancienne Directrice Générale de l’Agence Nationale pour la Sécurité Routière est, aujourd’hui, rattrapée par ses faits. Du moins, c’est ce que l’on retient du rapport annuel 2023 du Bureau du Vérificateur Général.
En effet, ce rapport est le résultat d’une enquête de vérification financière qui a porté sur la gestion de l’ANASER, au titre des exercices 2019, 2020, 2021 et 2022 (31 août). Par cette enquête, le bureau du vérificateur général voudrait s’assurer de la régularité et de la sincérité des opérations de recettes et de dépenses, ainsi que les actes d’administration de l’ANASER. Les travaux de vérification ont essentiellement porté sur les dépenses de fonctionnement, les dépenses d’investissement, les redevances de sécurité routière, ainsi que les actes d’administration de l’ANASER.
Ce qu’il faut comprendre par l’ANASER
Créée par l’Ordonnance n°09-003/P-RM du 09 février 2009 et ratifiée par la Loi n°09-006 du 05 juin 2009, l’Agence Nationale de la Sécurité Routière est chargée de définir, de concevoir et de coordonner les politiques de l’Etat en matière de sécurité routière. Elle a pour mission de promouvoir et renforcer la sécurité routière et de contribuer à l’amélioration des conditions d’exploitation du réseau routier. Le Décret n°09-040/P-RM du 9 février 2009, modifié, fixe son organisation et les modalités de son fonctionnement. La Décision n°2016-001/METD-SG PCA-ANASER du 04 mars 2016 détermine le détail de son organisation interne et son cadre organique.
Entre magouilles et embrouilles
Le rapport annuel 2023 du BVG met en exergue, la mauvaise gestion des responsables de l’ANASER. En atteste les irrégularités financières qui s’élèvent à plus de 484 millions FCFA (484 252 275 F) pendant les exercices 2019, 2020, 2021 et 2022 (31 août) ; soit à peu près 4 ans de gestion.
À en croire le rapport, la commission d’analyse a retenu une offre d’un soumissionnaire sans une mise en concurrence réelle. L’article 2 du Décret n°2016-0888/P-RM du 23 novembre 2016 portant Code d’Ethique et de Déontologie dans les Marchés Publics et les Délégations de Service Public dispose : « La mise en concurrence est une obligation qui implique, sauf réserves ou dérogations prévues par la réglementation communautaire ou nationale, que les autorités contractantes doivent mettre en compétition et dans des conditions identiques, tous les candidats à un marché public. Cette mise en concurrence s’effectue par la publication d’un avis d’appel d’offres, d’un avis à manifestation d’intérêt, ou par un envoi d’une invitation à soumissionner. La mise en concurrence peut être ouverte ou restreinte »…
Afin de s’assurer du respect de ces dispositions, l’équipe de vérification a analysé les marchés passés par DRPR (Demande de Renseignement de Prix à Compétition Restreinte) et les rapports de dépouillement et d’analyse des offres de la période sous revue. Elle a, en outre, analysé la copie des registres du commerce fournie par les candidats. À l’issue de ces travaux, elle a constaté que la commission a retenu l’offre d’un soumissionnaire sans une mise en concurrence réelle.
En effet, le Contrat n°3519/CPMP/MTI-2020 relatif à la fourniture de produits alimentaires d’un montant de 13 503 826 FCFA a été attribué à SIMPA SERVICES dont le gérant est aussi titulaire de la société « MATY BTP » soumissionnaire au même marché et la société « Assitan SIMPARA », soumissionnaire audit marché également.
Paiement indu des arriérés d’impôts directs à un Cabinet fiscal par la DG et l’Agent Comptable
L’Article 252 de la Loi n°06-068/ du 29 décembre 2006, modifiée, portant Livre de Procédures Fiscales stipule : « L’impôt direct est payable à la caisse du comptable assignataire des rôles et des rapports de liquidation ou du ressort de la circonscription sur laquelle cet impôt est dû. L’adresse, la signature et le cachet du comptable assignataire doivent figurer sur les avertissements, avis, sommations et autres documents relatifs au recouvrement adressés aux redevables ».
Afin de s’assurer du respect de cette disposition, la mission a examiné les pièces justificatives de paiement d’Impôts sur les Traitements et Salaires. Elle a également demandé par mémo n°05 du 09 mai 2023, la mise à disposition de la Déclaration de recette relative au reçu de paiement ainsi que la quittance y afférente, matérialisant l’effectivité du paiement des arriérés d’impôts. Elle s’est également entretenue avec le Chef du Service Administratif et Financier.
À l’issue de ces travaux, elle a constaté que la Directrice Générale de l’ANASER, au moment des faits, a ordonné à l’Agent comptable, par Mandat n°459, le paiement d’arriérés d’impôts pour la somme de 30 millions FCFA à l’ordre du cabinet fiscal (MSK) le chèque ECOBANK N°3922977. En effet, la DG de l’ANASER par convention d’assistance fiscale, non signée, d’un montant de 57 466 000 FCFA a sollicité les services d’un cabinet de conseil fiscal pour une assistance dans la gestion du contentieux fiscal l’opposant à la Direction Générale des Impôts.
L’Agent comptable n’a pas déclaré l’intégralité des redevances relatives au contrôle technique des véhicules
L’article 123 du Décret n°2018-0009/P-RM du 10 janvier 2018 portant Règlement Général sur la Comptabilité Publique dispose : « L’Agent comptable exécute toutes les opérations de recettes et de dépenses budgétaires ainsi que toutes les opérations de trésorerie de l’établissement auprès duquel il est accrédité. Il est soumis à l’ensemble des obligations incombant aux comptables publics énoncées dans le présent décret. A ce titre, il est seul signataire des chèques et autres moyens de paiement sur les comptes de trésorerie »…
Afin de s’assurer du respect de ces dispositions, l’équipe de vérification a rapproché les statistiques de la visite technique aux bordereaux de versement et chèques émis par la société Mali Technic System (MTS), concessionnaire du service public de contrôle technique des véhicules. Elle a ensuite rapproché ces données aux certificats d’encaissement. Contre toute attente, elle a constaté que les redevances relatives au contrôle technique des véhicules, reversées sur le compte bancaire de l’ANASER sont inférieures à celles figurant sur les certificats de recettes. Les écarts de recettes non déclarées par l’Agent comptable s’élèvent à 229 646 700 FCFA au titre de l’exercice 2019.
Les Régisseurs des recettes des Directions Régionales des Transports des Régions de Ségou et de Koulikoro n’ont pas recouvré la totalité des redevances de sécurité routière
L’article 6 de l’Arrêté n°10-0388/MET-MEF-SG du 16 février 2010 déterminant les taux, les modalités de recouvrement de la redevance de sécurité routière et de sa mise à la disposition de l’Agence Nationale de la Sécurité Routière dispose : « La perception de la redevance de sécurité routière à l’occasion de la délivrance des permis et autorisations de conduire, des certificats d’immatriculation des véhicules et de la confection des plaques d’immatriculation est assurée par les régisseurs de recettes des Directions Régionales et des Subdivisions des Transports Terrestres et Fluviaux pour le compte de l’Agence Nationale de la Sécurité Routière ».
Mieux, l’article 9 du même arrêté stipule: « les Régisseurs des recettes des Directions Régionales et Subdivisions des Transports Terrestres et Fluviaux, procèdent à la fin de chaque journée, au versement dans le compte bancaire de l’Agence Nationale de la Sécurité Routière de la totalité du montant de la redevance de sécurité routière appuyé d’un état nominatif des recouvrements effectués en double exemplaire ».
Pour s’assurer du respect de ces dispositions, l’équipe de vérification a procédé à la reconstitution des redevances de sécurité routière à partir des rapports mensuels des Directions Régionales des transports de Ségou et de Koulikoro. Elle a, ensuite, rapproché le montant des recettes reconstituées à celui des redevances de sécurité routière perçues et reversées par les Régisseurs dans le compte bancaire de l’ANASER.
La mission d’enquête a constaté que les montants des recettes reconstituées sont supérieurs à ceux recouvrés et reversés par les Régisseurs des DRT de Ségou et Koulikoro sur le compte bancaire de l’ANASER. En effet, pour la période sous revue, le montant total des redevances reconstituées par l’équipe de vérification s’élève à 749 125 000 FCFA alors que celui recouvré et reversé par les Régisseurs est de 524 519 425 FCFA, soit un écart non recouvré de 224 605 575 FCFA.
Ce rapport sert de matière pour la justice qui est aux trousses des délinquants financiers. Face à cette gabegie, le Bureau du Vérificateur Général a transmis et dénoncé les faits au Président de la section des comptes de la Cour Suprême et au Procureur de la République près le tribunal de grande instance de la commune III du district de Bamako, charge du Pôle économique et financier. Du coup, l’ancienne DG de l’ANASER et ses complices ne dorment que d’un seul œil.