Le journal britannique « The Guardian » a interrogé 380 des plus grands scientifiques du climat. Selon la majorité d’entre eux, la température moyenne sur la planète va augmenter d’au moins 2,5 °C, avec des conséquences désastreuses.
« Désespérée et brisée », « Nous vivons à l’ère des fous ! », « Je suis soulagé de ne pas avoir d’enfants, sachant ce que l’avenir nous réserve »… La plupart des scientifiques du climat interrogés par The Guardian ont une vision très pessimiste du futur. Dans cette enquête alarmante (en anglais) publiée le 8 mai, le journal britannique révèle comment ces grands experts mondiaux du climat, qui ont toutes et tous été auteurs ou rédactrices en chef des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) depuis 2018, sont « terrifiés, mais déterminés à continuer à se battre ».
Sur 843 scientifiques interrogés, 380 ont répondu aux questions du Guardian. 77 % d’entre eux pensent que la planète se dirige vers une hausse d’au moins 2,5 °C des températures (par rapport au niveau préindustriel), avec des conséquences désastreuses pour l’humanité. Près de la moitié, soit 42 %, pensent même qu’elles dépasseront les 3 °C. Les plus jeunes et les femmes sont les plus pessimistes. Seuls 6 % restent optimistes en estimant que la limite de 1,5 °C à ne pas dépasser (fixée lors de l’Accord de Paris) sera atteinte.
Dépressions, envie d’abandonner…
Nombre de ces scientifiques envisagent « un avenir “semi-dystopique”, avec des famines, des conflits et des migrations massives, provoqués par des vagues de chaleur, des incendies de forêt, des inondations et des tempêtes d’une intensité et d’une fréquence bien supérieures à celles qui ont déjà frappé », détaille le journal.
Interrogés sur leurs sentiments vis-à-vis de ce constat très sombre, elles et ils sont nombreux à faire part de leur désespoir (en anglais). Certains reconnaissent avoir fait des dépressions ou songé à abandonner leurs travaux. Ils disent aussi leur exaspération et leur peur face à l’incapacité des gouvernements à agir malgré les preuves scientifiques évidentes fournies.
Le manque de volonté politique
« Je pense que nous nous dirigeons vers des perturbations sociétales majeures au cours des cinq prochaines années, a déclaré au Guardian Gretta Pecl, de l’université de Tasmanie. Les autorités seront submergées par les événements extrêmes, les uns après les autres, et la production alimentaire sera perturbée. Je ne pourrais pas ressentir un plus grand désespoir face à l’avenir. »
« Aucune bonne nouvelle »
Le manque de volonté politique et les intérêts corporatistes — tels que ceux de l’industrie des combustibles fossiles — ont été cités parmi les principaux obstacles à l’action contre la crise climatique. La surconsommation est elle aussi pointée du doigt par les chercheurs. « Beaucoup ont également mentionné les inégalités et l’incapacité des pays riches à aider les pauvres, qui souffrent le plus des effets du climat », écrit encore The Guardian.
Malgré ce tableau peu réjouissant, la plupart persévèrent dans leurs recherches et leur travail d’alerte, considérant que chaque fraction de degré en moins compte. Le combat des jeunes générations est aussi un facteur de remobilisation pour certains.
« C’est vraiment absurde de ne pas agir maintenant »
Contacté par Reporterre, Philippe Ciais, directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), dit ne pas être surpris par le constat du Guardian. Pour lui aussi, rien ne conduit à l’optimisme. « Aucune bonne nouvelle sur le plan de la recherche scientifique, ou sur le plan des politiques menées. Et les émissions de CO2 ne diminuent pas ! » Il rappelle qu’on est déjà presque à +1,5 °C. « Au rythme actuel de nos émissions de CO2, dans trente ans, nous aurons atteint les +2 °C. »
Comme ses confrères, il trouve « assez désespérant » le manque d’action des politiques. « Nous pourrions encore financer une entrée dans la transition. 1 000 milliards de dollars par an sont nécessaires. Cela représente les économies des 56 millions de millionnaires dans le monde. Ou bien la moitié des dépenses militaires. Ce n’est pas inaccessible, juge-t-il. Mais ça le deviendra dès lors que les catastrophes vont se succéder. Les États n’auront plus de capital, il faudra parer à toutes les crises. C’est vraiment absurde de ne pas agir maintenant. Ou de ne pas l’avoir fait dès le début des années 2000 où ça aurait été beaucoup plus facile. »